Le contexte : Une affaire de famille
Un client, que nous conseillons pour partie sur certains de ses placements financiers, prend contact avec nous au moment où ses enfants ont divers besoins. L’un d’entre eux s’est professionnellement installé, et un autre a besoin d’argent pour une durée de quelques années.
Chacun a pensé pouvoir utiliser les ressources et facilités d’une SCI familiale dont les enfants détiennent des parts en nue-propriété et partiellement en pleine propriété, aidés dans cette réflexion par leur père usufruitier. L’audit de la situation s’avère nécessaire, chacune des demandes apparaissant par ailleurs « décalées » de ce que l’on peut classiquement attendre d’une société familiale.
Des revenus distribués à certains enfants créent une distorsion successorale
L’analyse de l’existant nous apprend qu’un des appartements logés dans la SCI est depuis des années mis à disposition d’un premier enfant, sans loyer. Conscient de l’avantage qu’il procure à cet enfant, le père a compensé tantôt par des distributions de revenus inégalitaires, tantôt par des dons de sommes d’argent à ses deux autres enfants. En tenant une comptabilité des avantages des uns et des autres, il estime que chacun a reçu la même chose, réalisant ainsi l’équilibre souhaité.
En procédant ainsi, il a en réalité augmenté le premier déséquilibre de nouvelles difficultés. Premièrement, en distribuant des revenus de manière inégalitaire, la comptabilité de la SCI fait apparaître des comptes courants débiteurs, équivalent à des prêts qu’aurait fait la SCI au profit des enfants bénéficiaires. En d’autres mots, les deux enfants gratifiés au-delà de leurs droits statutaires aux bénéfices devront restituer les sommes à la SCI. La situation n’est donc nullement corrigée ici, mais seulement reportée dans le temps.
Deuxièmement, la comptabilité de la SCI étant étanche vis à vis de la comptabilité successorale, les dons directs faits aux deux enfants constituent non pas des compensations, mais des avances sur leur part d’héritage, avances qu’ils prendront donc « en moins » dans le partage de la succession finale, sauf à ce qu’il en ait été stipulé autrement lors desdites donations.
Dans les deux cas, les enfants gratifiés de sommes d’argent auront donc, d’une manière ou d’une autre, à restituer ce qu’ils ont perçu, là où le premier, hébergé gratuitement, n’aura rien à redonner, restant ainsi privilégié. Dans cette mécanique de fausse compensation, seuls les calculs auront été complexifiés.
Une situation difficile à comprendre pour notre client dont le raisonnement peut se résumer ainsi : “je fais pourtant ce que je veux de mon argent, c’est à moi non ? La SCI, c’est moi !”
Le financement du projet professionnel d’un des enfants via la SCI crée une nouvelle distorsion
A ces premières difficultés, le deuxième des enfants de notre client a initié un projet professionnel nécessitant l’achat d’un atelier et d’un entrepôt, dont la SCI s’est portée acquéreur. Depuis quelques jours, les bâtiments sont mis à disposition gratuite du jeune entrepreneur, qui désire entamer quelques travaux de rénovation nécessaires à son activité.
Nous faisons remarquer là encore une nouvelle distorsion, à notre sens plus grave que celle constatée au sujet du premier enfant. Ici s’ajoute qu’il s’agit d’un patrimoine professionnel. L’activité envisagée est relativement dépendante du bien acquis, et devrait leur apporter une revalorisation. Ici, la force de travail apportée par l’associé bénéficiaire sera à terme partagée avec ses frères et sœurs. Après quelques années, il sera très difficile d’établir un compte de ce qu’il aurait dû payer comme loyer, de ce que son travail à apporter au bien lui-même, en distinguant cette plus-value de celle naturellement acquise par l’immobilier. Nous pouvons imaginer d’ici les sources de tensions lorsqu’arrivé à la retraite, ou changeant de projet de vie, l’entrepreneur souhaitera revendre le fruit de ses efforts.
Là encore, stupeur chez notre client, qui n’avait pas conçu de différence entre la SCI et lui-même.
Un emprunt consenti à un des enfants via la SCI, une pratique déconseillée car très risquée
Enfin, le troisième de ses enfants souhaitait emprunter une somme auprès de la SCI. Venant de vendre l’un des quatre appartements, la SCPI disposant des sommes nécessaires, notre client pensait lui consentir le prêt demandé.
Or, un prêt consenti par une Société civile à l’un de ses associés est possible, mais déconseillé, pour plusieurs raisons :
- Tout d’abord, le prêt consenti est constaté au bilan et représente donc un actif de la société. Le but d’une société étant de partager les bénéfices générés par ses actifs, il convient, tant pour l’équité entre tous les associés, que pour des raisons de validité fiscale, d’assortir le prêt d’un taux d’intérêt. Les intérêts versés à la société (ou venant grossir le compte courant du débiteur), constituent un revenu, lequel sera imposé entre les mains de tous les associés.
- Ensuite, parce que l’activité de prêt est une activité commerciale. Si les intérêts (ou le cumul des activités commerciales) venaient à représenter plus de 10% du chiffre d’affaires global de la société, cela changerait/obligerait à un changement du régime fiscal de la société, la faisant basculer à l’impôt sur les sociétés.
- Enfin, parce que l’emprunteur est juridiquement considéré comme une personne faible par la jurisprudence. Généralement, ces schémas sont envisagés lorsque l’emprunteur ne parvient pas à obtenir de prêt auprès des banques, ne réunissant pas les conditions de solvabilité nécessaire. L’emprunteur se tourne alors vers une société familiale, qui lui consent le prêt dont il a besoin. Si plus tard, il éprouvait des difficultés à rembourser sa dette, il pourrait arguer de sa faiblesse devant les tribunaux, qui rendraient la SCI responsable. En d’autres mots : un tribunal pourrait annuler sa créance et/ou condamner le professionnel ayant conseillé le montage.
Généralement, la jurisprudence donne droit aux emprunteurs, faisant ainsi courir un risque tant à la SCI qu’à ses associés ou à leurs conseils. Le montage du prêt n’est donc en théorie pas impossible, mais extrêmement difficile à mettre en œuvre et dangereux pour tous, sauf .
Ce que nous avons fait : une réduction de capital pour corriger les déséquilibres
Dans un premier temps, nous avons mis fin aux compensations opérées par notre client, pour éliminer les distorsions que nous avions relevées.
Ensuite, pour corriger l’ensemble des déséquilibres au sein de la SCI, nous avons procédé à une réduction de capital, en attribuant les bâtiments professionnels à l’enfant qui les exploitait, l’appartement occupé à titre gratuit à l’enfant qui en avait la jouissance, et le prix de vente de l’appartement cédé au troisième enfant.
L’inconvénient pour notre client et ses enfants fut le coût significatif de ces différentes opérations. Mais la situation fiscale et juridique observée ne laissait pas d’autre choix.
Cette histoire permet de rappeler un point fondamental : une SCI ne sert pas à tout et n‘importe quoi. C’est une personne juridique à part entière, avec ses propres objectifs, son propre patrimoine et des règles de fonctionnement spécifiques. D’où l’importance d’être accompagné par des professionnels avertis pour bénéficier de leurs conseils et éviter les écueils rencontrés par notre client.
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